FIGAROVOX/ANALYSE – L’enseignant Stéphan Bourcieu déplore les confusions entretenues par certains politiques lorsqu’ils interviennent sur l’actualité économique. La polémique autour de BlackRock est selon lui représentative de cette dérive.
«BlackRock a un PIB supérieur à la France». Quoi de plus marquant qu’une telle information, surtout lorsqu’elle est affirmée à une heure de grande écoute sur une radio nationale? Depuis quelques mois, les hommes politiques sur la brèche de la contestation sociale ne cessent de pointer les dérives du capitalisme dans les médias, à coup de déclarations choc et de chiffres particulièrement marquants… mais pas toujours justes.
Ainsi le 11 février sur France Inter, c’est Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts (EELV), qui intervient au sujet des dégradations intervenues la veille au siège de la société BlackRock France. S’il condamne ces agissements violents, cet élu profite néanmoins du micro du service public pour dire tout le mal qu’il pense de sociétés comme BlackRock, qualifiée de «prédateur pour notre avenir». On peut parfaitement comprendre qu’un homme politique opposé au capitalisme ait des mots durs vis-à-vis d’un gestionnaire d’actifs aussi emblématique. Sauf que cette affirmation selon laquelle «BlackRock a un PIB supérieur à la France» est mensongère.
Sur la base des informations financières à fin 2018, BlackRock a réalisé un chiffre d’affaires de 14,2 milliards de dollars. Ce chiffre ne doit pas être confondu avec le montant des actifs sous gestion, qui s’établissait à 6 960 milliards de dollars à la même époque. Ces actifs sous gestion ne sont pas la propriété de BlackRock, et encore moins son chiffre d’affaires, mais l’argent de ses clients, investi dans des fonds d’investissement ou des mandats de gestion gérés par BlackRock. Avec un chiffre d’affaires de 14,2 milliards de dollars, BlackRock ne «pèse» que 0,55% du PIB de la France (établi à 2 583 milliards de dollars en 2018), bien loin des affirmations de Julien Bayou.
Jean-Luc Mélenchon s’arrange avec la vérité en qualifiant BlackRock de « fonds de pension ». Il s’agit en effet d’un gestionnaire d’actifs.
Le 10 février dernier, c’est Jean-Luc Mélenchon qui, sur son blog, qualifie BlackRock de «plus grand fond (sic) de pension du monde (…) qui gère 7 000 milliards de dollars d’actifs soit trois fois le PIB de la France et 23 fois le budget de son État». On passera sur la comparaison entre le montant d’actifs gérés et le PIB de la France, déjà évoquée par Julien Bayou, pour s’arrêter sur celle avec le budget de l’Etat. Cette comparaison n’a aucun sens car elle compare un stock d’actifs avec un budget annuel. Mais peu importe que cette comparaison ait un sens ou pas tant qu’elle donne aux lecteurs du leader de la France Insoumise le sentiment que BlackRock est beaucoup plus puissant que l’État français. Car c’est bien là l’objectif de la démonstration.
De même, l’affirmation selon laquelle BlackRock serait «le plus grand fonds de pension du monde» est fausse. Ce n’est pas un fonds de pension mais un gestionnaire d’actifs. Seulement, il est plus intéressant de qualifier BlackRock de fonds de pension dès lors qu’il s’agit de démontrer que la réforme des retraites a pour unique motivation de casser le système actuel par répartition pour le transformer en système par capitalisation. Jean-Luc Mélenchon affirme ainsi que «la perspective de voir s’ouvrir une brèche dans les 312 milliards de pensions françaises aujourd’hui gérées par répartition est alléchante pour eux». Il n’hésite d’ailleurs pas à qualifier la réforme des retraites de «réforme BlackRock» et tant pis s’il faut s’arranger avec la vérité en transformant un gestionnaire d’actifs en fonds de pension.
Enfin, le 24 décembre dernier, c’est Thomas Portes, responsable national du PCF, qui tweete à propos de la grève à la SNCF que «donc en 20 jours les cheminots produisent 400 millions d’euros. Par contre ils n’en voient que rarement la couleur car les salaires sont gelés depuis 4 ans! Il est temps de se réapproprier les richesses produites». Cette prise de position indique clairement que les 400 millions produits ne bénéficient pas ou peu aux cheminots. On retrouve ici la rhétorique courante selon laquelle les dividendes générés par les entreprises profitent aux seuls actionnaires au détriment des salariés.
Les opposants politiques au capitalisme entretiennent sciemment la confusion en s’arrangeant avec des concepts économiques difficiles pour le grand public.
Sauf qu’en l’occurrence, les 400 millions produits sont du chiffre d’affaires et pas des dividendes. Et que les charges de personnel (14,1 milliards d’euros) représentaient plus de 42% du chiffre d’affaires 2017 du Groupe SNCF. Sur les 400 millions produits, ce sont 170 millions qui bénéficient directement aux cheminots qui s’approprient donc bien une partie significative (importante même dans une entreprise à forte intensité capitalistique) des richesses produites. Quant aux 230 millions restants, ils servent à couvrir les autres charges de la société, dont on rappellera qu’elle n’a que rarement été bénéficiaire. La confusion entre chiffre d’affaires et dividendes est-elle volontaire de la part de Thomas Portes? Que ce soit le cas ou pas, il apparaît que son analyse ne reflète pas la réalité du partage de la valeur.
On peut légitimement s’interroger sur le besoin de formation en économie de la classe politique française.
Assimilation du chiffre d’affaires aux dividendes, confusion entre chiffre d’affaires et actifs sous gestion ou encore transformation d’un gestionnaire d’actifs en fonds de pension: ces exemples se multiplient et posent une alternative.
Soit les opposants politiques au capitalisme entretiennent sciemment la confusion en s’arrangeant avec des concepts économiques pas toujours simples à appréhender par le grand public pour mieux faire passer leur rejet du capitalisme. On se situe alors dans le registre de l’exploitation politique des fake news, dans la droite ligne des pratiques de Donald Trump durant la campagne électorale américaine de 2016.
Soit ces opposants politiques au capitalisme ne maîtrisent pas les principes de l’économie. Dans ce cas, on peut légitimement s’interroger sur le besoin de formation en économie de la classe politique française. Le récent rapport de la présidente du jury de concours d’entrée de l’ENA, Isabel Marey-Semper, tendrait à confirmer cette hypothèse. Ce rapport, présenté le 21 janvier dernier, pointe en effet «la méconnaissance par les candidats de la vie des entreprises, de ce qu’est un modèle économique, la faible culture industrielle et microéconomique, la compréhension parfois trop partielle des enjeux géo-politico-économiques mondiaux».