Interview de Nathalie Huet, Directrice Entreprises et Carrières de BSB
Comment définiriez-vous les soft skills et pourquoi est-ce si important de maîtriser ce type de compétences pour un jeune diplômé aujourd’hui ?
Quand je parle des soft skills, j’aime la traduction très littérale de « compétences douces », par opposition aux hard skills. Autant on peut devenir – en travaillant dur et beaucoup – comptable en 12 mois, autant la vision critique, la bienveillance ou le sens du collectif, donc des soft skills, ne s’acquièrent pas si rapidement ! Ce sont des compétences – des marqueurs de personnalité – qui sont intrinsèques à chacun au départ (selon nos personnalités, notre vécu, nos expériences, notre éducation) et même si elles peuvent être travaillées et développées, personne ne peut devenir un « roi de l’empathie » en 12 mois. C’est du moins ma vision.
Les soft skills sont aujourd’hui des arguments forts pour identifier les potentiels de futurs collaborateurs. Dans une école de management, nous ne pouvons pas développer les hard skills de nos étudiants (comptabilité, marketing, communication, etc.) sans développer leur potentiel personnel. L’addition des deux fera la différence sur le marché du travail et surtout les préparera au mieux au monde du travail actuel et futur : des carrières non linéaires, des changements de secteur professionnel, la multiculturalité, le travail nomade ou digital, « l’intergénérationnalité »… Ce sont les enjeux de demain et les soft skills sont une réponse pour faire face à ces défis.
Sur quelles soft skills en particulier travaillez-vous avec les étudiants ?
La liste serait trop longue pour toutes les citer mais faisons un focus sur quelques-unes :
- Tout d’abord des soft skills qui font partie des valeurs de BSB :
- avoir un esprit d’équipe (la vie associative, les travaux de groupe, etc.),
- savoir être intègre, au quotidien, à l’école, mais aussi dans sa vie de citoyen. Les étudiants sont d’ailleurs très impliqués, pour preuve le lancement en mars 2020 du Code d’Honneur BSB,
- créer de l’impact : en entreprise, dans ses projets,
- être ouvert à la diversité, de profils, d’opinions… Les étudiants le vivent au quotidien par la multiculturalité sur le campus, mais aussi dans les associations, dans leurs projets de groupe ou leur thèse,
- savoir interagir dans un groupe, se positionner, communiquer.
Au-delà, les compétences d’innovation, de créativité, mais aussi de pensée critique, sont des soft skills qui font partie du socle des compétences attendues dans les projets que nous menons. Citons-en deux :
- le challenge Innovation Sprint : 3 entreprises, 450 étudiants et des problématiques RSE. Durant 3 jours nous demandons aux étudiants de sortir du cadre, d’apporter une réponse innovante, percutante, mais réalisable, à nos partenaires entreprises. C’est aussi un vrai moment de team building !
- Deep Dive Artificial Intelligence : un challenge sur l’intelligence artificielle, inclus dans le cadre d’un module de cours, durant lequel les candidats doivent être capables de se positionner face à l’intelligence artificielle, de comprendre sa place dans notre monde et les défis éthiques, sociétaux et écologiques induits.
Comment sont-elles enseignées ?
Les soft skills peuvent-elles vraiment être enseignées ? Notre mission est, je pense, de mettre en place, dans le parcours étudiant, les conditions nécessaires à leur identification, leur acquisition et leur valorisation.
Ces « conditions nécessaires » que nous mettons en place se font pour nous à deux niveaux :
- par notre pédagogie en cours et le Skills Book : la construction de nos cours, la façon dont nous enseignons (pédagogie active, travaux d’innovation, de groupe, challenges…) activent des soft skills clairement définies, répertoriées dans notre propre référentiel de compétences. Notre « Skills Book » (qui intègre également des « hard skills ») suit l’étudiant tout au long de son parcours.
- par des parcours et des expériences « hors cours » : via notre Career Booster, nous mettons en place des ateliers collectifs à géométrie variables pour parler de soi, travailler ses « couleurs de personnalité », présenter son Ikigai (ses « raisons d’être » selon la philosophie de vie japonaise), apprendre à faire un feedback constructif et bienveillant, prendre conscience de sa communication non verbale, mais aussi des sessions de coaching individuel.
Ces ateliers font partie d’un « catalogue » d’interventions, parfois libres, parfois obligatoires dans le parcours, et sont délivrés par des intervenants experts ou par des professionnels en entreprise.
Comment les étudiants perçoivent-ils cet apprentissage ?
Pour eux c’est une évidence, ils en entendent parler, ils savent que c’est un argument pour être recrutés. Cependant il leur est difficile de mettre des mots sur LEURS SOFT SKILLS, de valoriser leurs compétences « personnelles », comportementales, et surtout de mettre en face des exemples concrets pour « prouver » ces atouts.
Parler de soi, dans l’environnement académique, n’est pas forcément facile. Nous devons leur apprendre à valoriser leur potentiel, à parler d’eux positivement, à affirmer que, même jeunes et sans beaucoup d’expérience, ils ont déjà beaucoup de soft skills à défendre !
Constatez-vous une évolution du comportement des étudiants depuis ces dernières années et y’a-t-il des soft skills sur lesquelles il faut davantage travailler ?
Ils sont de plus en plus « slasher » : ils passent d’une activité à l’autre, d’une envie à l’autre, d’une expérience à l’autre. Ils touchent à beaucoup de choses, ils sont étudiants, mais aussi cuisinier, sportif, photographe, blogueur… C’est impressionnant ! L’adaptabilité n’est plus à prouver. Cependant, toutes ces activités et cet accès rapide à l’information nécessitent aussi de travailler la résilience, l’empathie et également la vision critique à l’égard des médias et des réseaux sociaux.
Préparez-vous également les étudiants pour leurs expériences à l’international ?
Nous devons sensibiliser les étudiants à la fois à la vision multiculturelle, mais aussi à l’acceptation de l’autre et à la confiance en soi. Une expérience à l’international est riche d’apprentissage, mais elle doit être bien préparée. Notre département international met par exemple en place des workshops thématiques par zone géographique ou des réunions de sensibilisation interculturelle dans les cours de LV2. A noter surtout que nos étudiants « vivent » au sein d’un campus regroupant plus de 75 nationalités ; l’expérience qu’ils ont sur le campus les prépare aussi à leur départ à l’étranger.
L’école travaille-t-elle en collaboration avec des entreprises sur le sujet des soft skills ?
Tous nos partenaires, lors de leurs interventions (conférences, ateliers, etc.) insistent sur les soft skills, et cela fait partie des questions « obligatoires » que nous leur demandons d’aborder.
Nous avons par exemple organisé une session de recrutement via un Escape Game en ligne avec un grand groupe français, permettant notamment aux équipes RH d’expliquer aux étudiants comment ces nouvelles techniques permettent de détecter les soft skills.
D’après l’enquête de la CGE, le savoir-être et la personnalité du candidat sont les premiers critères pris en compte par les recruteurs, avant l’expérience professionnelle ou le diplôme, qu’en pensez-vous ?
Je ne doute absolument pas que la personnalité et le savoir être sont de vrais marqueurs de recrutement pour les entreprises, et font la différence pour une prise de décision face à différents candidats.
Cependant, dans les faits la réalité est plus compliquée. Finalement, pour qu’un étudiant se retrouve face à un recruteur, il doit déjà passer la phase de « pré sélection », qui se fait encore largement par le CV. Et les filtres du diplôme et de l’expérience sont encore et toujours de vrais filtres. Les étudiants ont vite des « étiquettes », selon la typologie du premier stage qu’ils ont fait par exemple ; et ce n’est pas toujours évident de prouver qu’on peut être bon sur un poste avec juste un CV.
Nous leur apprenons donc à développer d’autres méthodes liées aux soft skills : la curiosité, la capacité de persuasion… pour aller chercher le recruteur directement via les réseaux sociaux ou via un diplômé par exemple.
Et aujourd’hui de nouvelles tendances de recrutement émergent et se renforcent : escapes games, speed dating, rencontres informelles, business games… Cela va dans le bon sens pour favoriser un recrutement sur une personnalité et donc des soft skills !