Alumni BSB’93, Vice-Président des Ressources Humaines chez LVMH Japon
Stéphane Voyer, diplômé de BSB en 1993, est actuellement Vice-Président des Ressources Humaines chez LVMH Japon. Il raconte ici comment il envisage l’avenir de son métier, son secteur, son entreprise, avec la montée en puissance des enjeux environnementaux, technologiques, de responsabilité sociale, et bien sûr les impacts liés à la crise du Covid-19, une période qui pour lui “teste notre sens des responsabilités, stimule la créativité et nos capacités d’adaptation !”
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“Mon parcours, c’est la moitié chez Procter & Gamble, en Europe, dans le marketing, la vente et les ressources humaines, et l’autre chez LVMH, depuis 12 ans. J’ai d’abord été DRH de la branche cosmétiques avant de devenir Directeur des Talents, puis DRH de la branche vins et spiritueux. Je suis depuis 4 ans au Japon, l’un des trois plus grands marchés pour LVMH, qui compte pas moins de 8.000 collaborateurs.
Mon périmètre est très diversifié puisqu’il englobe l’ensemble des Maisons du groupe. Le Japon est un marché critique pour notre distribution, qui compte 800 points de vente sur le tout le territoire. Le Japon, c’est un espace historique et fondateur pour le luxe, avec une éducation du consommateur très sophistiquée, et qui s’est ouvert plus largement au monde ces dernières années, notamment via le tourisme – passant de 1 à 32 millions de visiteurs par an en une quinzaine d’années. Enfin… nous parlons de la période qui a précédé la crise du coronavirus…
“Soft skills” différenciantes
Concernant les métiers des ressources humaines, la question de l’avenir est toujours un sujet de fond. Le marché des talents évolue continuellement, il est mouvant, indépendamment de la crise actuelle. Si l’on se projette, pour ma part je pense que l’académique aura probablement de moins en moins de poids au profit des “soft skills”, qui vont faire la différence. Pour moi, c’est le savoir-être qui est le plus important dans ce monde globalisé.
Il faut savoir influencer les autres, être agile culturellement, avoir une intelligence aigüe des situations. Aujourd’hui déjà, un diplôme ne suffit plus, la vérité ne réside plus seulement dans des savoirs techniques élitistes. Dès aujourd’hui, ce ne sont plus les ultra-diplômés qui occupent les principaux postes de dirigeants dans les plus grosses entreprises. Les “soft skills” ont complètement rebattus les cartes ; le savoir être est déterminant pour les postes de décision.
Donc les fondations académiques restent importantes, mais ne sont plus fondamentales. En tout cas : elles ne sont plus suffisantes. Et cela complexifie terriblement notre métier. Dans une logique de pyramide des compétences, on va chercher les savoir-être critiques. Et du coup, on s’intéresse énormément à la personnalité. On recherche notamment des attributs et des traits personnels qui attestent d’une grande curiosité, de capacités à prendre des initiatives, à avancer avec agilité et naviguer dans des formes multiples d’ambiguité.
Ouverture et agilité
Le monde du luxe est particulier puisque c’est un secteur de produits rares et de services uniques, de désirabilité et de haute qualité. Dans le luxe, ce qui fait la différence, c’est de comprendre le client tout en le surprenant et devançant ses attentes. Il y a des liens forts avec le monde de l’art, de la création, du design, de l’architecture. On cherche à proposer avec excellence des produits et des expériences chargées en émotion, avec des dimensions de désir, de qualité, d’excellence.
Aujourd’hui, chez LVMH, la sélection et le développement des talents sont totalement mondiaux, bien plus qu’aux débuts des histoires de chacune des Maisons qui composent le groupe. Il y a une très grande multiculturalité et de nouveaux métiers qui émergent. Avoir une grande aisance pluri-culturelle, l’ouverture d’esprit et l’agilité d’apprendre continuellement sont des atouts distinctifs. En cela les étudiants français ont d’énormes atouts car ils ont généralement une très forte exposition internationale et pu avoir très tôt des vraies expériences en situation réelle.
Ces évolutions complexifient et rajoutent des exigences au cursus académique. Regardez par exemple, dans le retournement de la hiérarchie des choses importantes qui s’opère, le fait de parler anglais et d’avoir des expériences internationales : aujourd’hui, c’est juste la base, ce n’est plus ce qui fait la différence. Désormais, il faut plus et mieux pour émerger parmi une profusion de talents dont l’origine et la concurrence est globale.
Cette situation est d’ailleurs un avantage pour une école comme BSB, qui peut tirer son épingle du jeu, car elle valorise depuis longtemps les compétences comportementales. En tout cas, que ce soit pour les entreprises comme pour les écoles, il y a un besoin de changer de lunettes et de référentiel pour mieux apprécier ce qui se joue dans les besoins des structures au niveau international.
Prenez l’exemple du VIE : c’est un atout fabuleux qui est proposé en France ! Un “produit” formidable qui est largement sous-estimé à mon sens. En tout cas, nous, les DRH de l’étranger, nous apprécions fortement ces profils français, pour moi parmi les meilleurs profils “juniors” que je connaisse à l’échelle mondiale, qui sont investis dans la durée dans une mission et un espace géographique. Je pense que les écoles devraient s’y intéresser encore plus, c’est un passeport exceptionnel pour avoir des responsabilités à l’étranger.
DRH créateur de valeur
L’autre vague de transformations pour les entreprises concerne les aspirations qu’ont ces talents en leur sein. Elles évoluent grandement ! La raison d’être des entreprises doit prendre en compte les aspirations des talents, tandis que les talents, de leur côté, doivent s’intéresser à la raison d’être et aux valeurs des entreprises. Nous sommes aujourd’hui dans un monde transparent, tout se sait sur ce qui se passe au sein des organisations, tout est accessible. Faire un mauvais choix d’entreprise est intimement lié à une forme de négligence – ou de manque d’investigation de la part du talent.
Il est clair qu’aujourd’hui les entreprises sont très engagées en termes de RSE, de contribution citoyenne, et ces enjeux sont au cœur des stratégies d’entreprise. Elles ne sont plus annexes ou marginales : c’est par cela qu’on commence pour élaborer toute forme de vision. Et c’est aussi pour cela que le métier de DRH a pris une dimension absolument passionnante, puisque dorénavant il est “à la table” de la définition de la stratégie d’entreprise, et qu’en conséquence, la transformation dans les métiers de RH est encore plus importante qu’ailleurs.
Regardez l’initiative engagée dès le début de la crise du Covid-19 en France : quand LVMH transforme en 3 jours 3 de ses usines pour produire du gel hydroalcoolique, la fierté interne est incommensurable, l’impact externe est énorme, le sens est puissant. Ce type de décision d’entreprise donne une dimension incroyable au métier de DRH. Aujourd’hui, au quotidien, je parle autant de RSE, de citoyenneté, de diversité, d’inclusion, de développement durable, de parité… que de compte d’exploitation, de recrutement, de formation. Le ou la DRH créé de la valeur aujourd’hui.
Dans les processus que nous mettons en œuvre, nous avons un impact direct sur la société, pas seulement dans notre entreprise, c’est fabuleux. Et quand on fait cela, on fait aussi du marketing, de la communication et de la vente… Le DRH est amené à développer son savoir-faire, puisqu’en touchant ces domaines, il sollicite des compétences qui ne sont pas classiques dans les RH.
C’est pour cela que plus globalement, les métiers RH se diversifient considérablement, dans les compétences requises donc, et a fortiori dans les types de profils recherchés. Ils se complexifient et deviennent hybrides, puisqu’il faut savoir allier les compétences classiques des RH avec ces compléments essentiels que sont les savoir-être et les nouveaux métiers.
Grand écart du secteur du luxe
Dans sa modernité, le secteur du luxe fait face à un vrai paradoxe : c’est un environnement expérientiel dans lequel les clients veulent toucher les produits, tout en voulant tout avoir “à portée de clic”. Mais je ne pense pas que cette dernière dimension va tout emporter. Le retail physique va rester une norme, et l’expérience digitale va venir en symbiose, là encore dans une forme d’hybridation.
L’autre enjeu fondamental du secteur, c’est sa contribution au développement durable, avec des objectifs forts. Nous parlons d’une industrie qui travaille avec des matériaux rares et qui doit en maintenir la pérennité. Cela implique une adaptation de toute la chaine de valeur, et en particulier le fait d’être garant de l’intégrité du plus grand nombre d’étapes possibles en amont de cette chaîne.
Cela se concrétise par exemple avec l’acquisition de fermes d’élevage pour le Cachemire. L’idée est que tout soit intégré verticalement, que les étapes ne soient plus compartimentées, afin d’en assurer la traçabilité et assurer la qualité du produit final. C’est comme cela également que l’on peut prendre en compte la question de la sécurité animale, par exemple pour ce qui est des fermes d’élevages de crocodiles pour les cuirs exotiques.
C’est aussi la logique qui prévaut dans le rachat de petites entreprises patrimoniales et ce sourcing de plus en plus haut : nous restons et nourrissons un secteur de métiers rares. De l’artisanat au digital, c’est cela qui offre un grand écart fascinant dans cette industrie, avec une digitalisation de plus en plus importante. Demain, le luxe sera peut-être l’un des rares secteurs d’activité totalement intégré, du sourcing de matières à l’expérience complète du client final, avec tout ce que cela veut dire en termes de diversité de métiers, de profils, et d’internationalité.
Bien au-delà du secteur du luxe, les métiers des RH vont se sophistiquer avec les technologies et l’exploitation des big data. Mais cela restera essentiellement un moyen – pour mieux recruter, mieux anticiper – nécessaire, mais pas suffisant.
Coronavirus : revoir ses priorités et voir les opportunités
Entre les tremblements de terre, le tsunami et la crise nucléaire, les typhons et leurs conséquences humaines, le Japon a une forte résilience dans son ADN. C’est un marqueur très fort ici, et il est intéressant de voir comment le Covid-19, cet autre événement majeur, contribue aussi à influencer les choses pour ce qui est de la transformation du pays, du rapport au travail, des aspirations des différentes générations, etc.
Je suis toujours un peu méfiant avec les grandes tirades sur l’avenir. Je me garderais bien de toute prédiction sur nos modèles. Mais cette crise permettra probablement l’accélération de prises de conscience sur une série de questions de société.
Regardez ce qui se passe en Chine après le pic de la crise du Covid-1: plutôt des phénomènes de revenge spending. Je suis curieux de voir comment les choses vont évoluer… durablement ?
On assiste aujourd’hui à des prémices de changements de comportements, mais pour autant allons-nous les changer aussi drastiquement pour quelques semaines ou quelques mois ? Ce sont de bonnes questions auxquelles il est difficile de répondre.
En tout cas du strict point de vue RH, cette crise révèle l’importance critique de proximité avec les équipes et les individus, elle amplifie les besoins de réponses locales avec des décisions au plus près des événements : dans cette situation, nos métiers prennent tout leur sens.”